La photographie est, par essence, un art visuel. Mais qu’en est-il lorsque l’image nous évoque des sons, des goûts, des parfums ou des sensations tactiles ? Ce phénomène porte un nom : la synesthésie. Chez certains individus, c’est une réalité neurologique. Pour les photographes, c’est une puissante source d’inspiration.
Dans cet article, explorons comment vous pouvez, en tant que photographe, stimuler d’autres sens à travers une image, et créer des œuvres qui résonnent bien au-delà du simple regard.
C’est un phénomène rare où les sens sont “mélangés”. Une personne synesthète peut, par exemple, voir des couleurs en entendant de la musique ou goûter des formes. C’est involontaire et automatique.
Des artistes comme Kandinsky, Rimbaud ou David Hockney ont traduit leur perception synesthésique en œuvres visuelles. En photographie, on peut imiter cette approche, même sans être synesthète, pour éveiller plusieurs sens chez le spectateur.
Une photo de marché animé, où l’on imagine les voix, les cris, les klaxons.
Un cliché d’un groupe de jazz avec des lumières chaudes et floues, évoquant les sons feutrés.
Une image de vague qui frappe une falaise, avec un cadrage serré et dramatique.
Flou de mouvement pour suggérer la vibration ou la dynamique.
Contrastes forts pour accentuer une intensité sonore perçue.
Composition rythmique (répétition de motifs visuels) rappelant une mesure musicale.
Si la photo culinaire est un terrain évident pour évoquer le goût et l’odorat, d’autres images peuvent aussi provoquer ces sensations :
Une photo d’herbes fraîches, avec une lumière naturelle qui laisse imaginer leur odeur.
Un cliché de café fumant, qui semble presque diffuser ses arômes.
Une scène de forêt humide, riche en mousse, champignons, écorces…
Utilisez une lumière douce et enveloppante pour évoquer chaleur et confort.
Misez sur la texture : une peau d’orange, des grains de café, de la mie de pain.
Travaillez les couleurs chaudes ou terreuses, associées à des sensations gustatives.
Les textures sont essentielles pour évoquer le toucher : rugueux, lisse, collant, granuleux…
Une main ridée prise en gros plan.
Un muret en pierre ancienne, rongé par le temps.
Un tissu en soie flottant dans la lumière.
Un bokeh très marqué derrière une texture nette crée une sensation de présence, presque palpable.
Même sans synesthésie sensorielle, beaucoup d’images déclenchent chez nous des émotions sensorielles :
Une photo d’hiver, et on frissonne.
Une plage au soleil couchant, et on sent la chaleur.
Couleurs émotionnelles : le bleu évoque le froid, le rouge l’énergie, le vert la nature.
Cadrage et espace : un plan large peut donner une sensation de liberté, un cadrage serré peut évoquer l’étouffement.
Ambiguïté visuelle : des images moins “littérales” ouvrent l’imagination.
“Chaud”
“Collant”
“Épicé”
“Silencieux”
Et essayez de la représenter visuellement, sans élément littéral. C’est un excellent exercice créatif.
Exemples :
“Épicé” : une lumière rouge intense, un contraste fort, une texture piquante.
“Silencieux” : un espace vide, un flou léger, des tons pâles.
Créer une série photo autour d’un thème sensoriel permet d’inviter le spectateur à un voyage plus immersif.
Exemple :
🧵 « Les 5 sens »
Vue : Un regard net, pénétrant.
Ouïe : Une cloche en mouvement.
Goût : Une fraise mordue.
Toucher : Une main dans du sable.
Odorat : Une fleur dans l’obscurité.
Associer image et mot crée un lien fort.
Kandinsky : maître de la correspondance couleur-musique.
Olafur Eliasson : installations multisensorielles.
Gabriel Orozco : photographie poétique et texturée.
Edward Weston : ses clichés de poivrons, coquillages ou corps évoquent le toucher et le goût.
The Eyes of the Skin de Juhani Pallasmaa : sur l’architecture sensorielle.
Chromatopia de David Coles : sur les pigments et les émotions des couleurs.
Les campagnes de parfumerie, de gastronomie ou de bien-être exploitent ce pouvoir évocateur.
Une photo de parfum peut suggérer l’odeur, l’élégance, la sensualité rien que par le visuel.
Comprendre la synesthésie vous aide à :
Développer une signature visuelle émotionnelle.
Aller au-delà du “joli” pour toucher l’intime.
Créer un storytelling visuel plus profond.
Lumière naturelle ou artificielle : chaque type évoque une ambiance particulière.
Filtres colorés ou gélatines : altérez la perception pour la rendre plus sensorielle.
Textures et objets tactiles : photographiez des matières brutes, organiques.
Montage en diptyques ou triptyques : juxtaposez des éléments pour créer des associations sensorielles.
La synesthésie en photographie, ce n’est pas simplement imiter un phénomène neurologique. C’est une invitation à penser au-delà du regard, à créer des images qui font vibrer, frissonner, saliver ou sourire.
En stimulant d’autres sens, vous multipliez la puissance évocatrice de vos clichés. Et surtout, vous offrez au spectateur une expérience sensorielle inédite, qui le marquera bien au-delà du simple coup d’œil.
Alors, à votre tour : que sentez-vous, entendez-vous, touchez-vous… en regardant vos propres photos ?
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